Engagé sous les couleurs de la SNG aux mondiaux de Gênes, l’équipage du 8mJI a remporté son cinquième titre mondial en vingt-quatre ans. Discussion à bâtons rompus avec l’une des figures emblématiques du club, patron d’un projet qui allie passion, performance et amitié.
On ne froissera pas Jean Fabre en disant de lui que c’est un pilier du club. Pilier du bar, certes, mais souvent en ciré mouillé, les cheveux en bataille et les yeux brillants derrière ses lunettes sombres, accompagné par son équipage rendu célèbre par son cri de guerre, sorti des ténèbres et conclu en apogée : Yyyyyyy…quem ! Quiconque régate à la SNG l’a déjà entendu.
L’équipage d’Yquem et son patron, c’est une présence marquée et fidèle aux régates du mardi soir. Mais c’est aussi un palmarès international éloquent : cinq titres de Champion du monde, dont le dernier début septembre, acquis de haute lutte au Yacht Club Italiano de Gênes.
« J’ai débuté la régate sur le tard », nous raconte Jean. Né d’un père marseillais et d’une mère fribourgeoise, il passait ses étés à la mer et naviguait un peu en Ponant ou en Moth. Mais c’est Daniel Metzger, bien plus tard, qui lui fait découvrir la régate et la classe des 8mJI à bord du Tigre, aujourd’hui connu sous son nom d’origine Glana, le voilier le plus titré de l’histoire du Bol d’Or. « On était une bande de potes, on naviguait en dilettantes, pour le plaisir », se souvient Jean. « J’ai passé plus de vingt ans avec Metzger, je pourrais raconter des anecdotes pendant des heures ! »
Passionné et ambitieux, Jean décide alors de franchir une étape. « J’ai voulu créer ma propre équipe et développer un projet compétitif », explique-il. Fred Meyer, alors président de la classe internationale des 8mJI, l’aide à trouver un bateau; ce sera Yquem 1. Le regretté Thierry Berque, qui connaissait tout le monde, l’aide à créer un équipage performant. Résultat des courses : Champions du monde dès leur première participation, en 1999. Et instauration d’une tradition : on célèbre les victoires au Château Yquem et tous les équipiers en reçoivent une bouteille.
Yquem 2 apparaît dix ans plus tard, et permet à la fidèle équipe de remporter un titre européen en 2012 et des titres mondiaux en 2015, 2019, 2022 et 2023. « On a voyagé dans toute l’Europe, en Ecosse, Finlande, Allemagne, à Cowes, en Italie… », se remémore Jean. Et avec style ! « Nous sommes un équipage épicurien. Nous régatons de façon très sérieuse, mais nous aimons aussi voyager, découvrir des pays et des plans d’eau, goûter à la gastronomie locale. »
L’équipage, l’amitié, la solidarité sont les principaux moteurs de la passion de Jean. « Notre équipe est très stable dans le temps, nous nous connaissons depuis longtemps et nous aimons partager de bons moments. Ça va au-delà des régates : nous faisons des week-end de ski ou nous organisons des repas. Ils sont formidables. Je crois que c’est grâce à eux que je continue encore. » Car force est de constater que le 8mJI s’avère être un support exigeant pour un régatier de 72 ans. Sans aucun confort, très physique, humide… « Tout est lourd, et dur. Il n’y a pas de ris donc on navigue souvent surtoilé. Mais c’est aussi un voilier majestueux, et à taille humaine avec un équipage de six personnes. »
Début septembre, Jean Fabre et son équipage, constitué de Manuel Stern (barre), Marc Stern (GV & tactique), Pascal Python et Cédric Senften (embraque), David Genier (no1) et Jean au piano ont donc remporté le Championnat du monde à Gênes, dans des conditions musclées et humides. Ils ont par ailleurs conquis la prestigieuse Copa d’Italia, décernée au meilleur équipage européen, ainsi que la Corinthian Cup décernée au premier équipage 100% amateur. « Je suis très fier de ce prix », précise Jean. « Car il y a des pros à bord de la plupart des voiliers, alors que nous sommes juste une belle équipe amateur, constituée de bons copains. »
Entrepreneur et dynamique, Jean travaille encore malgré l’âge de la retraite qui s’éloigne, avec différents engagements notamment dans la gestion de patrimoine ou la téléphonie mobile. Éclectique et touche-à-tout, il parcourt 15’000 kilomètres par an sur sa Harley, son vieux cuir sur les épaules; il joue aussi de la guitare dans le groupe Soul Jam et pratique le rallye automobile avec sa Porsche 911S. « J’aime l’action, conclut-il. La vie est une succession de pièces de théâtre, dans laquelle on change régulièrement de costume », conclut-il.